lundi 25 novembre 2013

La valse des choix entre priorités sanitaires et calculs fiscaux

Une politique de santé publique ambitieuse doit se doter d’un bras armé ; la fiscalité est ainsi le garant d’une réussite, ou non, de la lutte contre le tabagisme. Or cette politique fiscale n’est pas aujourd’hui clairement définie et hésite entre rationalisation des prix, exacerbée par le contexte sociétal, et politique de prévention efficace, passant par une prise en charge plus complète.


Le Projet de Loi de Financement de la Sécurité Sociale (PLFSS) pour 2014 illustre cette dualité ; la politique de prévention contre le tabagisme y est très insuffisante, parce que le choix porte sur la rationalisation fiscale à travers la réalisation d’économies, davantage que sur la santé.
Plus regrettable encore est cette incapacité à concilier les deux, c'est-à-dire financer une politique de santé publique ambitieuse sans nuire aux revenus petits et moyens -la critique majeure adressée à la TVA qui augmentera en janvier 2014 à 20%.

En quoi est-il nécessaire d’approfondir et de compléter la prise en charge des traitements à l’égard de la dépendance du tabac pour une politique efficace de lutte contre le tabagisme ?
D’abord parce que les catégories de populations concernées par cette prise en charge sont trop circonscrites : jeunes et femmes enceintes. Ensuite parce la prise en charge actuelle seulement des traitements de substitution nicotinique (TSN) se révèle trop limitée pour permettre le succès du sevrage tabagique, surtout lorsqu’il s’est révélé être un échec la première fois. Enfin, cette prise en charge ne peut se faire qu’à travers un parcours de soins complet du fumeur, passant par un accompagnement d’un professionnel de santé, acteur nécessaire à la réussite du sevrage tabagique.

Un PLFSS 2014 révélateur d’une vision parcellaire des politiques de lutte contre le tabac
La Ministre des Affaires sociales et de la Santé a lancé la Stratégie Nationale de Santé le 23 septembre 2013, en mettant en valeur 4 mesures traduites dans le cadre du PLFSS 2014. L’une d’elles concerne le renforcement de la lutte contre le tabagisme et prévoit ainsi d’aider à l’accompagnement des fumeurs lors du sevrage tabagique. Cette mesure est inscrite dans le PLFSS 2014.
 Afin d’aider les jeunes à l’arrêt du tabac des jeunes adultes de 20 à 25 ans, le PLFSS 2014 (article 43) prévoit le triplement du forfait financé par les fonds de prévention des caisses d’assurance maladie (FNPEIS) pour le remboursement des traitements substituts nicotiniques de 50 à 150 euros. Viennent ensuite un accompagnement personnalisé et une facilité d’accès à la prescription des traitements de substituts nicotiniques. Cette mesure présente un coût estimé entre 16 à 73 millions d’euros.
Il faut noter que toute tentative d’élargir la portée de cet article par des élus militant pour une vraie politique de santé publique, en développant la prise en charge ainsi que les programmes d’accompagnement et en construisant un vrai parcours de soins pour le fumeur, notamment en Affection de Longue Durée (ALD), s’est soldé par un échec -que ces amendements aient été défendus en Commission des affaires sociales ou en séance publique.

Il faudrait ainsi faire un choix entre objectifs sanitaires et calculs fiscaux.

Une fiscalité de la cigarette complexe comportant différentes taxes…
L’outil fiscal le plus connu est celui de la TVA, augmentée en janvier 2014 à 20% (contre 19,6% actuellement). Cette hausse produira de fait un relèvement du prix du paquet de cigarettes. Cependant la TVA est considérée comme injuste car elle pénalise plus fortement les petits et moyens revenus.
Les droits de consommation forment la seconde partie de la fiscalité du tabac. On peut agir sur les droits de consommation en augmentant le droit d’accise spécifique. Le droit d’accise spécifique est une taxe par cigarette, identique pour toutes les marques et actuellement très basse (12%). L’inconvénient de l’augmentation du taux d’accise spécifique repose sur le fait que les effets sur les prix bas sont peu significatifs. En effet, la hausse est répercutée par les fabricants sur les paquets les plus chers, afin de laisser les autres paquets au prix le plus bas, ce qui laisse ceux-ci en produits d’appel.
Les minima de perception, fixés par décret, forment la troisième partie de la fiscalité du tabac. Les minima de perception sont un moyen de réguler la consommation tabagique car leur augmentation permet de relever les prix les plus bas des produits, afin que les paquets les moins chers ne puissent plus servir de produits d’appels. En effet, les fabricants perdent de façon automatique une part de ce qui leur revient dans la vente de la cigarette. Et s’ils souhaitent avoir le même chiffre d’affaires, ils sont obligés d’augmenter les tarifs de tous les paquets en vente sur le marché. A noter enfin que cette augmentation garantit durablement les recettes de l’Etat, contrairement au droit d’accise spécifique. C’est donc le moyen d’obtenir une vraie baisse homogène de la consommation tabagique.

…Dont une permettant des objectifs sanitaires ambitieux, sans pénaliser revenus faibles et moyens
Les minima de perception permettent donc de faire payer une politique sanitaire ambitieuse par les industriels et non les consommateurs, sans provoquer une baisse des recettes fiscales pour l’Etat.

Néanmoins l’Etat, face à un contexte actuel marqué par le « ras-le-bol fiscal » selon les propres termes du Ministre de l’Economie et des Finances, semble opter pour des mesures restreintes, ne nécessitant pas de financement. Rappelons que les dépenses de santé liées à une consommation tabagique coûtent environ 18 milliards d’euros par an tandis que les recettes fiscales sont évaluées pour leur part à 11 milliards d’euros par an.
Soulignons aussi qu’un euro dépensé dans la lutte contre le tabagisme est un euro investi car il rapportera à l’Etat une somme supérieure. Les résultats de l’étude de l’Unité de Recherche Clinique économique de l’Île-de-France de 2013 souligne en effet le gain économique d’une meilleure prise en charge du sevrage tabagique. Le coût des principales maladies liées au tabac, cancer des bronches, broncho-pneumopathie chronique obstructive (BPCO) et maladies cardiovasculaires, est de 5,6Md€ par an pour l’assurance maladie. La prise en charge totale, c'est-à-dire à 100% du sevrage tabagique, est évaluée comme la mesure la plus efficace.
Selon les données de la Caisse Nationale d’Assurance Maladies des Travailleurs Salariés (CNAMTS), pour trois des trente affections de longue durée (ALD), tels que le diabète, le cancer et l’insuffisance cardiaque, et en ne prenant en compte que les cas fatals sur une période de 16,5 ans, un euro investi dans le sevrage pourrait conduire à économiser 6,6 euros.

Une nécessite d’ouvrir la prise en charge à tout le panel thérapeutique
La prise en charge complète de tout « traitement à l’égard de la dépendance tabagique » est inscrite dans l’article 14 de la Convention cadre de l’OMS pour la lutte anti-tabac. Cette convention-cadre ratifiée par la France implique par ailleurs de s’y conformer, en tant que traité international donc contraignant. L’article 14, datant de 2010, est contraignant et son contenu s’impose donc juridiquement aux pays qui le ratifient (ce qui n’est pas le cas des lignes directrices ou « guidelines » qui ont valeur de circulaire dans l’administration française).

L’Institut National du Cancer (INCa) a souligné en juin 2013 un retard dans l’application de la mesure 10-2 visant à renforcer la politique d’aide au sevrage tabagique. La mesure 10-2 du Plan Cancer 2 reposait sur un triplement du forfait de prise en charge au sevrage tabagique, étendu aux bénéficiaires de la Couverture Maladie Universelle (CMU) comme cela avait été prévu. Cela n’a ainsi pas été réalisé alors même que la consommation tabagique est un révélateur des inégalités sociales, avec une augmentation de celle-ci chez les chômeurs. Le Professeur Paul Vernant a remis son rapport sur les recommandations dans le cadre de la préparation du Plan Cancer 3 (2014-2018) le 30 août 2013, dans lequel il recommande la prise en compte des difficultés à arrêter sans soutien économique.
Le rapport rappelle par ailleurs que le remboursement des traitements à l’égard de la dépendance tabagique est recommandé depuis presque dix ans -la Haute Autorité de Santé (HAS) le recommandait dans un rapport daté de 2006, ce que la Cour des Comptes a répété dans son rapport de 2013. La HAS avait par ailleurs souligné que le forfait minimum de prise en charge pour un sevrage tabagique efficace était de 180 euros par an dans un avis rendu en 2007.

Une nécessité d’impliquer les professionnels de santé pour plus de réussite
Il est acquis qu’un accompagnement du fumeur dans le processus de sevrage, quel que soit le type de professionnel le pratiquant, augmente de 75% la probabilité d’arrêt du tabac (entre 66% et 84% pour un médecin et 30% pour une infirmière selon l’IRDES).
La protocolisation d’un parcours de soins est notamment à mettre en place pour les fumeurs souffrant des trois ALD suivantes : le diabète, le cancer et l’insuffisance cardiaque. Selon la CNAMTS, pour ces trois ALD, et en ne prenant en compte que les cas fatals sur une période de 16,5 ans, un euro investi dans le sevrage conduit à économiser 6,6 euros. Pour la CNAMTS, une généralisation de la prise en charge de tout traitement de la dépendance à l’égard du tabac nécessiterait dès lors, en préalable, la protocolisation d’un parcours de soins que devrait définir la HAS.

On ne peut que noter dans ce cas le parallélisme entre une prise en charge complète du sevrage tabagique et une forte économie pour l’Etat. Il semblerait donc qu’objectifs sanitaires et calculs fiscaux soient bien faits pour s’accorder…

1 commentaire:

  1. bravo pour avoir rendu compréhensible le fouillis des taxes et avoir rappelé l'intérêt de la prise en charge du tabagisme :il est évident financièrement pour la société ,li est évident pour la santé de tous sauf pour les cigarettiers!hélas ceux-ci sont de véritables criminels qui grâce aux profits colossaux que leur rapporte leur commerce ,achètent et corrompent nos gouvernants

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